Géo-métabolisme et éthologie politique

— Le Corps Global et métabolisme géopolitique

Le Corps Global et métabolisme géopolitique

Il me semble qu’il faudrait questionner chaque terme pour dépasser les automatismes rhétoriques dans l’espoir d’induire des fragments de réponse.
La durabilité du développement est vidée de son sens depuis qu’elle constitue, avec l’écologie, la base de la panoplie du prêt à penser en marketing commercial et politique.
Il faut probablement repenser le monde en déplaçant les repères et en revenant aux sources. Dans la métaphore suivons le prince des crapaud, celui pas si fou qui court chercher le baiser libérateur de ses pulsions visionnaires. Pour le vivant la croissance n’excède jamais ce qui contribue à une meilleure survie de l’organisme ou de la communauté d’organismes. Quel intérêt, par exemple, pour l’humain de faire 3,50m ?
Surtout si les os et les muscles sont trop fragiles pour le porter, si les portes sont trop basses pour le laisser passer, si l’air est trop rare pour respirer, si la place manque pour cohabiter, si sa taille l’empêche de dialoguer avec ceux qui ne ferait encore que la moitié.
Si la métaphore peut sembler par trop décalée, il m’en vient une autre, issue de l’interprétation des systèmes de communication, qui me parait révélatrice d’une croissance qui bouleverse notre perception du monde et le devenir de sa gouvernance.

On s’en souvient, McLuhan, visionnaire caricaturiste, voyait venir le village global. Aujourd’hui force est de constater que la prolifération rhizomique des réseaux de communication tisse une toile qui fait de chaque individu la terminaison sensible d’un système qui innerve ce qu’on pourrait appeler le corps global. Fortement connecté et appareillé, chacun et chaque groupe se retrouve à la fois capteur (récepteur) et transmetteur d’une information et d’un ressenti local. Les émotions, les plaisirs et les douleurs de la planète deviennent perceptibles pour l’ensemble du corps qui nourrit, en temps réel, sa perception globale de ces sensations singulières.
Comme pour tout organisme vivant, la survie dépend de l’interprétation de ces signes et des décisions qui en résultent. Douleur :
rétractation ou réaction. Plaisir : prolongement du contact, répétition de la cause pour reproduire l’effet.

Géo-métabolisme et éthologie politique sont probablement des sujets d’étude à envisager.
Si les instances de décision sont, pour le corps global, dispersées sur le territoire, c’est pour en augmenter les capacités perceptives notoirement sous-développées chez les organismes hautement centralisés.
Que se passe-t-il alors si le ressenti d’une partie du corps global n’est pas reçu par les instances de décision ? Que se passe-t-il si un membre est ignoré du corps, si sa douleur n’est pas perçue, si la gangrène le ronge ?

Deux possibilités :

    -Le mal gagne le reste du corps qui risque fort d’être détruit avant d’avoir compris ce qui l’affecte.
      -La partie touchée, mais ignorée, tâche de piquer une zone saine et innervée. Elle déplace la douleur pour alerter. Nous ne manquons pas d’exemples, du suicide médiatique au terrorisme pour illustrer le phénomène.

Il se pourrait qu’il en aille de même pour l’humanité pensée comme un corps global qui ne peut plus se permettre d’ignorer les parties les plus éloignées des centres de décisions, et dont les maux pourraient contaminer l’ensemble faute d’un diagnostic rapide. Selon les régions du monde, les réseaux accélèrent le différentiel de transmission de l’information, et ce déséquilibre pousse à prendre des décisions fondées sur des données partielles et partiales. Décisions qui loin de favoriser une partie du corps élue, la maintient dans l’illusion d’une bonne santé qui masque la septicémie dont les spasmes pourraient annoncer une crise bien plus grande. Abusons de la métaphore: la lymphe économique, artificiellement entretenue ne ferait qu’accélérer ce processus de propagation.

Renvoyant dos à dos technophilie infantile et catastrophisme pré-apocalyptique, il me semble qu’il faut lire le fait technologique comme une forme de croissance à risque et en déduire les priorités qui à tous les niveau de la chaîne perception/analyse/décision, permettent la survie, et bien plus encore. Il conviendrait d’identifier rapidement les zones d’ombre qui sont autant de foyers potentiels d’infection… ou de sources de plaisirs insoupçonnés.

Maurice Benayoun décembre 2009