Etoy , (...) propose une vision radicale d'un Internet ou chacun serait un Big Brother skin head complaisant que l'on serait tenté de prendre au premier degré

— Cyber Récréation, Ars Electronica 96

ARS ELECTRONICA 96
cyber récréation

Article pour la revue Technicart 1996

Cette année marquait un tournant décisif pour Ars Electronica (Linz, Autriche) reconnue depuis de nombreuses années comme un événement majeur pour l’art et les définitivement nouvelles technologies. On fêtait simultanément l’inauguration de l’ Ars Electronica Center – Musée du Futur, le Festival et le très convoité Prix Ars Electronica déversé (en liquide) par l’ORF, chaîne régionale de télévision. Ces multiples concrétisations de la volonté d’une région et d’un pays (Linz, Autriche) de s’inscrire dans l’histoire de l’art par une participation active à son infiltration radicale par les bits et les électrons libres, forcent l’admiration. Le français de passage ne peut que ressentir avec amertume l’évolution de telles initiatives dans des pays tels que l’Autriche, l’Allemagne (ZKM…), le Japon (ICC…), le Canada (Banff…), les USA (…), alors que la France refuse de considérer avec réalisme les enjeux de ces développements trop éloignés de la conservation d’un patrimoine encombrant.

Il est commun de signaler le caractère inégal de la production dans ces domaines de plus en plus médiatiques. A côté de pratiques qui s’installent dans la durée ou l’anecdote certains témoignent d’un dynamisme et d’une capacité de renouvellement trop rares dans le champ de la création artistique. Masaki Fujihata nous gratifiait cette année de deux installations aussi différentes que remarquables. Global Interior Project , (Golden Nica Art Interactif) présenté dans des conditions déplorables au SIGGRAPH de La Nouvelle Orléans révélait ici son potentiel fait de rigueur et d’à-propos. Trois box blancs en réseau permettaient à trois utilisateurs simultanés de circuler dans un univers aussi cubique que symbolique. Passant en 3D temps réel d’une pièce à l’autre, chacun parcourt un corps non dénué d’esprit. L’extérieur visible par une fenêtre ouverte sur le monde (image satellite de la terre) le renvoie systématiquement vers une nouvelle partie de ce corps symbolique également présent sous l’espèce d’une construction géométrique constituée de boites – exacts référents des boites virtuelles – qui s’ouvrent physiquement à chaque fois que l’on passe d’une entité virtuelle à l’autre . Bref un système complexe qui frappe par la simplicité de sa mise en œuvre tout en ménageant une place au dialogue direct entre les individus qui n’ont qu’à se retourner pour éviter le détour du réseau.

Plus discret dans sa présentation, Beyond Pages du même auteur fait vivre les pages d’un livre démontrant que l’on peut faire cohabiter humour, plaisir, et qualités graphiques dans une création simple et magistrale.
Avec GENMA (GEnetic MAnipulator) Christa Sommerer et Laurent Mignonneau poursuivent leur exploration d’une génétique interactive qui donne vie à une pratique qui se veut résolument artistique. Démiurge de Legoland chacun peu décider à loisir de l’évolution de sa créature.
Harwood , Graphiste et artiste multimédia anglo-irlandais présentait Rehearsal of Memory un CDROM d’une grande qualité graphique qui, au travers de corps reconstitués à partir de fragments scannés de malades mentaux, fait parler la surface meurtrie d’une peau partagée. Avec Inter Dis-communication Machine Kazuhiko Hachiya nous transforme en anges (noirs et blancs) qui échangent par couple leur regard dans une transaction déstabilisante. Pourvus du regard de l’autre l’espace nous est étranger. Approchant l’autre c’est nous que nous voyons venir.
Luc Courchesne nous fait jouer dans son Salon des Ombres une pièce pour quatres acteurs (images fantomatiques flottant dans l’espace de la pièce) et spectateurs actifs. Piégés dans l’espace du Musée, ils ne demandent qu’à échapper à leur destin avec l’aide du spectateur qui aura su poser les questions qui les fera sortir de leur rôle de circonstance. Scénographie élégante d’une fiction interactive in situ.
Michel Redolfi et Luc Martinez nous apportaient avec Liquid Cities un bel exemple d’immersion totale (dans une piscine), une sorte de jacusi sonore où le bouillonnement aurait été remplacé par une composition musicale dont l’interactivité complexe disparaissait (avec bonheur)
Avec Brain Opera , Tod Machover nous offrait un spectacle hommage à Marvin Minsky très controversé. Une forêt d' »hyper-instruments » très divers et souvent riches de potentiels, permettait au public de produire des fragments sonores ensuite intégrés dans le concert live. Internet, interventions du public, musiques préenregistrées et compositions interprétées sur scène avec les même instruments produisent un résultat hybride et un public perplexe ou enthousiaste. Toutefois l’apport technologique masque à grand peine une écriture musicale souvent attendue que les facéties scéniques parviennent difficilement à faire oublier.

Cette année consacrait l’entrée en force du Web dans la manifestation qui se proposait de couronner pour la deuxième fois les meilleurs produits du genre.
Grand vainqueur et omniprésents dans la manifestation, Etoy , groupe d’artistes de différentes origines européennes, profondément cybérisés et uniformisés, proposent une vision radicale d’un Internet ou chacun serait un Big Brother skin head complaisant que l’on serait tenté de prendre au premier degré.

MoBen (septembre 1996)