Watch Out ! The Eyes of the City

Watch Out ! The Eyes of the City par Panagiotis Kyriakoulakos

http://www.watch-out.net

L’évènement était d’envergure mondiale et le challenge était de taille: Les Jeux Olympiques d’Athènes étaient censés réconcilier les Jeux modernes avec l’esprit Olympique d’antan, une fête permanente pendant toute la durée de l’évènement sportif, grâce à laquelle une trêve générale était respectée parmi les nations du monde connu à l’époque. Le comité d’Organisation d’Athènes 2004 devait oeuvrer pour la décoration appropriée de la capitale grecque et veiller à ce que l’ambiance festive pérenne au cours des 17 jours des Jeux Olympiques. Pour la première fois dans l’histoire des Jeux Olympiques un programme ambitieux de visite guidée, intitule « Catch the Light ! », était proposé aux visiteurs moyennant des oeuvres artistiques. C’est dans cet esprit qu’un appel à projets d’art interactif était lancé par les organisateurs, ouvert à la communauté artistique internationale. “Watch-Out ! The Eyes of the City” était proposé par Maurice Benayoun dans ce contexte. L’oeuvre était parmi les neuf projets retenus finalement par le Comite d’Organisation sur proposition de Katerina KOSKINA, actuelle Présidente du Musée National d’Art Moderne de Thessalonique. Neuf aires interactives en plein air devaient permettre aux visiteurs de la ville d’Athènes de participer aux propositions artistiques de manière ludique.

2 Watch- Out! The Eyes of the City « Watch-Out » était déjà présentée à Séoul (Corée) dans une version plus distribuée spatialement. La version présentée pendant les Jeux Olympiques d’Athènes (du 12 au 29 aout 2004) tirait profit du territoire restreint dans lequel devait s’étendre l’aire interactive, autour de la place Kapnikarea au centre d’Athènes, le long du domaine piétonnier d’Ermou, le quartier commercial le plus en vue de la capitale. D’une certaine manière, cette contrainte spatiale donnait au réalisateur la possibilité de tester de nouveaux modèles de participation des spectateurs.

2.1 Scène Ce qui est visible ouvre notre regard sur l’invisible disait Anaxagore dans Fragments. L’installation de l’oeuvre autour de la place Kapnikarea, à côté de la célèbre église byzantine du même nom, se donnait aux passants sous deux réalités différentes au moins, chacune présentant des points-de-vue variés. Au matin et jusqu’à 9 heures du soir, un kiosque jaune et noir, tel qu’on peut voir d’habitude là où se déroulent des travaux publics, était visible par tous les piétons. Seuls les passagers attentifs pouvaient repérer un petit escalier noir à la base du kiosque, permettant aux enfants d’atteindre un trou situé au milieu du kiosque. Le trou n’était pas visible à première vue, mais les bandes jaune et noir au front du kiosque convergeaient vers ce point du milieu suggérant son existence. Lorsqu’il faisait jour donc, on pouvait de temps en temps regarder des passants s’arrêter un instant devant ce kiosque et jeter un coup d’oeil à l’intérieur par ce trou du milieu dont l’existence était devinée indirectement. Celui qui s’aventurait à l’observation moyennant le trou pouvait lire sur un écran plat d’ordinateur le message suivant : Send a warning message to the World! www. watch-out.net or send a free Cosmote SMS to 1256 starting with : WO . Des messages envoyés précédemment se déroulaient également sur le même écran. COSMOTE, sponsor de l’installation, est une filiale de téléphonie mobile de OTE, l’opérateur national de télécommunications. A l’époque des Jeux Olympiques d’Athènes l’écrasante majorité des habitants de la ville utilisaient ce réseau pour leur communication sans fil. Les messages envoyés par les visiteurs du kiosque, étaient enregistrés sur une base de données dédiée. Aucune autre activité n’était visible sur le site avant 9 heures du soir. A cette heure précise, le changement de décor était radical: La nuit commençait à tomber, les magasins fermaient leur portes au public, l’activité commerciale cessait progressivement. C’est à cette heure transitoire que l’installation de Maurice Benayoun commencer à vibrer : Des projecteurs s’allumaient, projetant sur les vitrines du 1er étage des magasins fermés, des images vidéo provenant du kiosque de la place de Kapnikarea. Des images floues de la foule des passants ou des images très nettes d’un oeil, l’oeil d’un visiteur de l’installation qui avait compris ou deviné instinctivement le jeu des regards qui se jouait sur place. Au dessus de ces images projetées, défilaient en se superposant les messages envoyés tout au long de la journée. L’audience autour du kiosque prenait parfois l’allure d’une manifestation. Et cela jusqu’à 2 heures du matin lorsque les projecteurs s’éteignaient et la foule se dispersait.

2.2 Ambiance L’ambiance était vraiment festive. La circulation permanente de passants sur la rue Ermou permettait toutes les combinaisons possibles de réactions envers l’installation, mais les visiteurs du site prenaient leur temps pour interagir avec ces yeux de la ville panoptiques qui les regardaient du haut des vitrines des temples commerciaux (LUCIFAIR, BENETTON, OLYMPIC STORE étaient les trois magasins abritant des éléments de l’installation, surtout des écrans, et étaient choisis en fonction de la proximité au site). Très vite, ils remarquaient qu’un petit délai, de l’ordre de 20 secondes, à la projection de l’image enregistrée par une camera à l’intérieur du kiosque, leur permettraient de regarder leur propre oeil sur l’écran.
Il suffisait pour cela de regarder par le trou du milieu pendant 5-10 secondes et ensuite reprendre leur place à côté de leurs amis et autres spectateurs dispersés autour du kiosque ; pour voir leur oeil panoptique regarder la foule. Ce comportement narcissique n’était qu’une possibilité de jeu parmi d’autres. On se doutait, mais les visiteurs de l’installation ne montraient pas seulement leur oeil à la caméra visant de l’intérieur le trou du kiosque.

2.3 Coulisses

Produire une aire interactive en plein air pendant 17 jours en continu relève de la gageure. Le logiciel d’enregistrement et traitement d’images devait fonctionner 24 heures sur 24, surtout pendant les heures fortes du soir. Les ingénieurs du Département de Design de Produits et Systèmes de l’Université d’Egée assuraient la continuité de l’opération sur le site et à distance, sous la direction de Modestos TAVRAKIS, chercheur chargé de la réalisation technique de l’installation. Certaines décisions devaient être prises immédiatement et soutenues par des actions de taille, telle le câblage de tout le site autour du kiosque de la place Kapnikarea, puisque la transmission sans fil des signaux de télécommunication n’était pas possible à cause de l’architecture du quartier. Heureusement les électriciens étaient habiles et les magasins précités ont donné leur accord pour un câblage discret de leurs façades. Les détails techniques de l’installation sont décrits ailleurs (voir références), mais je dois mentionner également le travail discret du responsable de l’opération du site, Konstantinos DRACHTIDIS, lequel « nettoyait » la base de données de messages de toute injure ou autre message blasphématoire pouvant nuire à l’aspect public de l’installation avant 9 heures du soir, et il était ensuite présent sur le site jusqu’à 2 heures du matin lorsque le gardien de sécurité prenait la relève. Garder le site pendant la nuit est essentiel dans ce genre d’installations pour dissuader les vandales de détruire le kiosque, plein d’équipements par ailleurs. Certains passants ont voulu tester l’équilibre du kiosque, alors que d’autres ont simplement craché dans le trou du milieu. Heureusement, il y avait quelqu’un à proximité pour intervenir et éviter le pire. Malheureusement, ceci n’était pas le cas avec « la mariée », sculpture avoisinant l’installation de la Chypriotte Niki LOIZIDI, laquelle a perdu une main par une bande d’écoliers trop excités pour respecter cette oeuvre d’art.

3 Bilan « Watch-Out! The Eyes of the City » a reçu 300.000 visiteurs au cours de la durée des Jeux Olympiques d’Athènes. Le kiosque existe toujours, avec toutes les traces de l’intense exposition au public, gardé au Centre de Design Industriel et Appliqué (CAID), près de l’Ecole des Beaux-Arts d’Athènes. Le logiciel est disponible également, mais les ordinateurs, écrans, et projecteurs de l’installation sont restitués aux sociétés qui ont loué le matériel durant les 17 jours d’opération. L’essentiel est que le savoir faire de l’artiste subsiste et qu’une version de l’installation peut être établie aisément lors d’une éventuelle rétrospective de l’oeuvre de Maurice Benayoun.
Cette installation prend l’allure d’un paradigme en rapport avec le concept de l’art fusion, propose par Maurice Benayoun. Non seulement l’oeuvre est intégrée dans l’environnement de la ville de façon à être parfois invisible, mais elle prend également partie à l’ambiance sociale de l’époque. L’hystérie sécuritaire des institutions est ici déjouée magistralement, lorsque les spectateurs comprennent que les yeux qui nous regardent littéralement appartiennent à nous-mêmes. Le Big Brother omniprésent moyennant les écrans publics perd sa puissance et le public se défoule allégrement lors de la rencontre avec l’installation. Les enfants surtout, tentent a se comporter de manière imprévisible, prenant position pour l’engagement ludique, se moquant de l’omniprésence de l’image de surveillance. De l’autre cote, une part du public préfère de rester distancie, observateur passif de la participation des autres au jeu interactif.
Appuyée sur deux vidéos enregistrés lors de l’opération de l’installation, Marilena KOLLIA distingue dans sa thèse (voir références) dix types de comportement des visiteurs de « Watch- Out ! The Eyes of the City », signe de la richesse d’interaction qu’une installation fusionnant avec l’environnement peut inspirer au public et dans la sphère publique.
En conclusion, les organisateurs d’Athènes 2004 doivent être contents de la réception de l’oeuvre par le public, puisque le point lumineux voulu au départ a fonctionné comme tel, permettant de découvrir autrement la lumière de la place Kapnikarea et du quartier ambiant ; Mais celui qui doit être le plus content, c’est l’artiste qui a testé son concept d’art fusion dans un contexte idéal, libérant des comportements inédits aux visiteurs de la ville olympique.