Martin Le Chevallier, « Vigilance 1.0 » : un jeu de vidéo-surveillance

Ivresse sur la voie publique : + 2 pts

Du 10 au 20 mars 2011, la Maison des arts de Créteil organisait un festival d’art numérique, EXIT 2011. Vingt-deux artistes ont décliné le thème de la paranoïa dans la société contemporaine. Installations, projections, dispositifs sonores et audiovisuels, usage d’organismes vivants… placèrent le visiteur en position d’expérimenter. Ce sont en effet l’expérience, l’impression, la sensation qui ont primé pour une prise de conscience des dérives et des excès d’un monde interconnecté où tout est enregistré.

Dans « Vigilance 1.0 », jeu de vidéosurveillance téléchargeable gratuitement sur son site web, Martin Le Chevallier met en scène un dispositif de contrôle social. Son objectif : la délation.

Né en mai 68, Martin Le Chevallier enseigne « l’activism design » à l’école supérieure d’art de Nancy. Depuis la fin des années 1990, il développe un travail portant un regard critique sur les idéologies et les mythes contemporains : la société, le consumérisme, la sécurité, le pouvoir, la gloire, la mondialisation, sont autant de thèmes dont il s’empare pour interroger le monde et se questionner soi-même.

Dans « Vigilance 1.0 », Le Chevallier met en scène un jeu de vidéosurveillance. L’esthétique est typique d’un jeu d’arcade des années 1980, avec un effet « pac-man » qui semble a priori inoffensif et paraît s’adresser de prime abord aux enfants. Le principe du jeu est simple : « Le joueur est face à une série d’écrans qui lui permettent de surveiller simultanément de nombreux lieux : rues, supermarchés, parkings, boutiques, immeubles, écoles, etc. Dans un temps limité, il doit déceler un maximum d’infractions : cambriolages, vols, transgressions du code de la route, abandon de détritus, deal de drogue, racolage, proxénétisme, alcoolisme sur la voie publique, etc. À chaque « flagrant délit », le score augmente, à chaque « diffamation », il baisse. »

Claire rapporte sa propre expérience : « J’ai d’abord choisi de suivre les règles. Tentant de mon mieux d’observer tous ces écrans simultanément en cliquant sur le plus d’infractions possible. Mon score augmentait progressivement. J’étais satisfaite. Mais les délits ne cessent jamais. C’est un effort constant. Animée par un sentiment de quasi culpabilité, j’ai décidé d’arrêter de scruter tous les mouvements des personnages et de voir l’évolution du jeu sans contrôle du joueur. Bien que les délits continuent d’être perpétrés, le programme ne semble pas prendre en compte mon inaction. J’ai alors choisi la diffamation, cliquant sur tous les personnages, de préférence inactifs et innocents. »

Un dispositif de contrôle social

En fait, des personnages, irréprochables en apparence, sont en possession d’armes ou de drogues. Tout citoyen devient donc un coupable potentiel pour le joueur. Empêché d’exercer son esprit critique par l’appât du score, le joueur se trouve confronté à un paradoxe : plus il se comporte en justicier plus il diffame, et il finit par se dénoncer lui-même. En plaçant le joueur en « Big Brother » contemporain, l’œuvre ne se contente pas de représenter la paranoïa, elle la fait ressentir et touche là son but.

Pourtant, en voyant dans l’exposition les enfants s’emparer du jeu et s’amuser à identifier des suspects, on s’inquiète et on s’interroge : le jeu est-il un entrainement, un « serious games » ? Où est l’art dans un tel dispositif ? Sans doute là, dans le piège tendu au visiteur, qui nous amène à porter un regard critique sur notre société. En nous positionnant en tant qu’acteur, Le Chevallier interroge notre éthique et nos principes moraux. Le choix du support du jeu vidéo participe de ce fait pleinement à la construction du message de l’artiste.

Dans un entretien avec Jean-Charles Masséra, Martin Le ChevalLier précise la finalité de l’œuvre : «  C’est surtout la critique d’un projet de contrôle social. C’est aussi l’idée du geste. Quel est le geste du joueur? Ici, plutôt que de tuer quelqu’un ou de lui donner des ordres, c’est de le dénoncer. »

Martin Le Chevallier exploite la banalisation de la vidéosurveillance développée dans les sociétés modernes. Il dénonce le contrôle social d’une vision panoptique : la surveillance totale, à travers le prisme cavalier d’un jeu d’enfant. Mais le monde d’Orwell qu’il fait sien est aussi le nôtre. Aujourd’hui, les anglais peuvent exercer une « vigilance citoyenne » en surveillant par Internet l’une des innombrables caméras qui peuplent les rues de Londres…

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