So what? Introduction du texte du catalogue de l'exposition Future Cinema, ZKM, MIT Press, 2002-2003 Les enjeux de la fiction et de la narration semblent constituer une ligne dramatique parallèle dans mon parcours. Ligne qui paraît curieusement pétrie de virtuel avant même que celui-ci ne devienne un enjeu technologique. Le virtuel semble en effet, à mon insu, avoir affecté mon travail en vidéo, dans les années 80. En dehors des installations que j'essayais de produire alors, qui laissaient pourtant plus de place au dispositif qu'au scénario pré-écrit, j'ai développé une écriture fondée sur la situation. Dans une série de documentaires sur l'art (Pièces à conviction, 1985), je mettais l'artiste interviewé dans une situation que je ne contrôlais plus et qui déclenchait des réactions parfois révélatrices, souvent troublantes. Mon passage par l'animation en images de synthèses avec la série Quarxs ('90-93) une dès toutes premières séries en images de synthèse 3D, réalisée en la collaboration de François Schuiten, m'a conduit à développer l'idée que le sujet de la fiction pourrait devenir l'explication du monde -pour les Quarxs : de l'imperfection du monde. Bref que la relation entre la fiction et le monde physique n'étaient pas à sens unique, de même que les rapport douteux entre illusion, représentation, et vérité scientifique pourraient faire l'objet de questionnements. La situation questionnante pourrait devenir un des enjeux de la pratique artistique, soutenue en cela par les techniques issues de la réalité virtuelle qui ouvraient, par la place qu'elles conféraient au spectateur, une opportunité inespérée de produire des univers de représentation qui prendraient le spectateur en compte comme une donnée fondamentale du récit. On glisserait ainsi du spectateur vers l'acteur, du regard vers l'action -celle du clic interactif de l'utilisateur de CD ROM- puis de l'agir vers l'être. Ainsi conçue, la représentation nous prend en compte parce que nous sommes. C'est notre condition face au monde physique et cela devient notre condition face à la représentation. Quand dans des dispositifs interactifs comme la série d'installations Les Grandes questions (1994-1996) avec Dieu est-il plat ? Le Diable est-il courbe? et Et moi dans tout ça ? le monde que l'on donne à vivre résulte de notre présence, comme 'visiteur', et non seulement de notre action, comme 'acteur'. Leur structure géométrique, leur topographie sémantique (le Tunnel sous l'Atlantique) découlent de notre présence et le sens résulte de notre comportement et non seulement de celui que nous aurions si nous prétendions être ce que nous ne sommes pas. Dans ces situations, ce que j'appelle 'Situation Art', à la différence du jeu vidéo et du jeu de rôle - qui paraissent aussi se développer comme genres narratifs majeur - nous restons nous mêmes, nous ne prétendons pas être un autre - le héro du jeu - et agir en son nom. World Skin et Crossing Talks sont ainsi des situations qui renvoient, de façon à la fois physique et métaphorique, à un questionnement sur le monde qui nous entoure. Crossing Talks, comme les Tunnels crée des situations de communication où la technologie interroge la technologie en même temps qu'elle fonde une écriture dont la matière est le vivant, le visiteur en action, où chacun écrit cette tranche de vie scénarisée qu'on appelle la fiction, en la vivant. Le virtuel narratif, c'est donc l'introduction du devenir dans les techniques de représentation. Le facteur de complexité et la personnalisation viennent du 'spectateur' lui-même. Et c'est le monde représenté qui s'adapte à sa singularité. maurice benayoun 2003 |
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