Difficile de regarder l’homme qui tombe du World Trade Center sans traquer l’évidence qui oscille entre l’indicible et l’impensable. Au-delà de la symbolique de l’événement cet instant touche une autre de nos terreurs. Notre capacité de projection est prise en défaut car elle se heurte à la dernière barrière de notre système de survie, celle qui nous retient de penser : pourquoi vivre plutôt que rien ?
Dans la photographie, la question reste définitivement en suspend. La précision de l’image semble neutraliser la puissance tragique du sujet. Trop net pour être vrai. La structure régulière de la façade accentue la dimension formelle de l’image.
Que se passe-t-il quand on vide progressivement l’image du détail, quand la pixellisation à outrance ne laisse plus entrevoir que trois pixels qui bougent imperceptiblement forçant notre esprit à imaginer l’horreur, franchisant décisivement la barrière de la distanciation, chauffant à blanc le médium aurait dit McLuhan? On se demandait ce qu’on pouvait enlever à l’homme pour qu’il cesse d’être homme, il faut se demander ce qu’on peut enlever à la représentation pour qu’elle cesse de représenter, pour mieux toucher. Comme résultat de cette gestalt dynamique, la force émotionnelle est ici d’autant plus forte que la vidéo, en boucle, anime les pixels avec la lenteur paisible de l’inéluctable.
voir le travail de thomas ruff, dont l’oeuvre jpegny02 (2004) a été présentée récemment dans l’exposition L’Evénement, au Jeu de Paume.
une reproduction de l’oeuvre est disponible au lien suivant :
http://www.jeudepaume.org/?page=article&sousmenu=13&idArt=217&lieu=1&idImg=325