The Tenth Sentiment est un voyage immersif proposé par l’artiste japonais Kuwakubo Ryota dont la démarche prétend se démarquer du « cliché interactif » associé au numérique. Cette œuvre poétique ramène au quotidien et à l’enfance en évoquant les films en 3D et la réalité virtuelle . Elle utilise, pour tout moyen technologique, une lampe LED et un train électrique. Un message simple qui prône un retour à l’essentiel.
L’exposition Low Tech
C’est dans une valse avec la matière que nous entraîne l’exposition Low Tech, à la Maison des Arts de Créteil où, comme son nom l’indique, elle se démarque de ces « High Technologies », omniprésentes dans notre quotidien. Cette expérience résolument sensorielle nous confronte aux matières « d’hier » : bois, plastique et carton s’entremêlent pour nous parler des nouvelles technologies. Ici, les références culturelles importent moins que l’éveil des sens, l’engagement du corp et l’interaction avec les œuvres. C’est cette dernière dimension qui est mise à l’épreuve. On considère trop souvent l’interaction comme rendue possible depuis l’apparition des nouvelles technologies. Les œuvres des 13 artistes et collectifs exposants nous rappellent le contraire.
Parmi elles, l’une soulève notre intérêt. Au-delà de l’expérience esthétique proposée, son auteur japonais Kuwakubo Ryota interroge le visiteur sur son rapport au quotidien et sur ces technologies qui prétendent révolutionner nos existences.
The Tenth Sentiment : l’immersion poétique
Une pièce plongée dans la pénombre et le silence met le spectateur en éveil. On distingue à peine une installation singulière : un train électrique miniature sur un circuit à même le sol. De part et d’autre, sont disposés des objets du quotidien : crayons, pinces à linge, passoires, entonnoirs, corbeilles en papier, ampoules. Le train se met en route. Une lampe LED (Light-Emitting Diode : diode électroluminescente en français) fixée à l’avant provoque un effet d’ombres chinoises sur les parois de la salle. Les objets dispersés sur le sol adoptent un tout autre visage sur les murs. Plus cette lumière ponctuelle en est proche, plus la taille de leurs ombres est importante. Elles nous immergent dans un paysage urbain : des buildings de Manhattan succèdent aux poteaux, aux fils électriques, aux tunnels, aux ponts et à leurs arcades.
Seul le bruit du train trouble cette contemplation apaisante qui se métamorphose peu à peu en une immersion poétique. Notre position de spectateur bascule, ce train miniature nous transforme en voyageurs dans un périple inconscient, provoquant un effet d’interaction immédiate avec l’œuvre.
Expérience métaphorique
Des jeux de substitutions et de symboliques révèlent la prestance de l’œuvre de Kuwakubo Ryota. Ce quotidien dispersé sur le sol arbore à peine quelques déformations : des coûts de cutters sur les passoires pour servir l’installation. Sur les murs, c’est le reflet d’une autre dimension qui apparaît, les impressions de déjà-vu se succèdent et titillent notre vécu. Les voyages de nuit en train nous reviennent en mémoire, ils correspondent à des instants particuliers de nos existences, éminemment introspectifs.
Il s’agit bien de faire le lien entre les deux dimensions : celle du petit train, émetteur du dispositif, qui nous ramène à nos réels voyages en train par les projections d’ombres. Ainsi, ces différences d’échelles se retrouvent connectées, renvoyant plusieurs images qui communiquent entre elles. Cela se traduit en quelque sorte par un effet poupées russes où une dimension est imbriquée dans une autre. Par exemple, le petit quotidien, celui des objets de la maison, se retrouve imbriqué dans le grand, plongé dans ces villes que nous arpentons continûment sans jamais réellement les regarder.
La question du rapport à ces objets est éminente car notre contact avec eux est constant mais demeure insignifiant. Dans The Tenth Sentiment, le voilà sublimé ; les formes, les couleurs, les matières, les moindres détails nous apparaissent, comme un moyen de se ré-approprier ces éléments et, d’une certaine manière, notre vie de tous les jours.
La question de la perception se pose également. Si le crayon est quelque chose qui sert à écrire où à dessiner, il peut aussi se transformer en building, quand nous nous efforçons de modifier notre regard et notre manière de voir les choses. Derrière toutes routines se cacherait le renouveau. Est soulignée cette volonté fréquente de se focaliser sur ce que nous n’avons pas alors que ce que nous avons recèle des richesses insoupçonnées.
Univers de substitution
Dans ce même état d’esprit, l’œuvre va plus loin et souligne que l’on peut produire un effet immersif, digne d’un film en 3D, avec des moyens rudimentaires. Beaucoup d’éléments connotent le domaine cinématographique tels que les buildings renvoyant à l’univers hollywoodien. Au sein même du fonctionnement du dispositif, les rails du train ramènent, sans détour, au travelling et la lumière LED se substitue au rôle d’une caméra qui provoque les différents rapports d’échelles des éléments. De cette manière, elle joue sur le point de vue du spectateur telle une caméra réelle et celui-ci se retrouve impliqué à différents niveaux dans l’œuvre. La diffusion des ombres dans l’ensemble de l’espace provoque un effet immersif important tout en banalisant la technique des images de synthèse. Finalement, lorsque le train cesse de rouler, le spectateur se retrouve à nouveau extérieur à l’œuvre et adopte une position redevenue contemplative.
Ainsi, dans la lignée de l’exposition Low Tech, Kuwakubo Ryota combat le cliché interactif soi-disant dépendant de la technologie. L’interaction avec l’œuvre est directe, elle s’en retrouve plus brute, peut-être même plus parlante que pourrait l’être un dispositif numérique en raison des objets utilisés qui nous sont familiers. Elle est apaisante et minimaliste comparée à une projection d’images, de pixels, d’images de synthèses et d’informations multiples. Les éléments nous parviennent calmement, dans un présent bien fixe, et ne se retrouvent pas condensés en une temporalité abrégée.