Lorsque je est un autre: Echo de Bart Hess à travers le prisme Dickien

Lorsque je est un autre:  Echo de Bart Hess à travers le prisme Dickien

Le travail de Bart Hess est souvent immédiatement reconnaissable grâce à une signature très personnelle. Au carrefour de plusieurs champs artistiques, avec ses peaux mutantes, des escarpins capables de respirer, des fourrures vivantes ou ses humanoïdes recouverts de gazon, il s’agit souvent de remodeler l’objet, transformer les corps par les possibilités qu’offrent la matière et le traitement numérique jusqu’à leur donner cette apparence si caractéristique du travail de l’artiste: des individus originaux, inhabituellement métamorphosés, parfois dérangeants. Le traitement des  matériaux du quotidien font apparaître de nouvelles textures et substances inédite afin dit-il ”d’imiter un monde imaginaire”.
Plusieurs analogies peuvent ainsi être repérées avec un autre forgeur de monde imaginaire: Philip K.Dick, notamment en rapprochant “A Scanner Darkly”, monument de la science fiction à Echo, animation crée par Hess pour le National Glass Museum de Hollande.

Bart Hess est un jeune artiste et designer Néerlandais issue de la prestigieuse Design Academy d’Eindhoven où il se spécialise dans les questions identitaires, culturelles et vestimentaires de l’être humain.

Il est aujourd’hui exposé dans des lieux de prestiges tels que le Centre Pompidou[1] ou le National Taiwan Museum[2] et atteint une notoriété internationale avec des collaborations très hétéroclites, l’amenant à tutoyer et élargir ses horizons artistiques avec la photographie, la vidéo, l’animation, les arts plastiques, la mode avec Iris Van Herpen ou encore la musique avec Lady Gaga[3].

Echo, cette oeuvre d’animation crée par Hess pour le National Glass Museum des Pays-Bas et qui a notamment été exposée à l’occasion du festival Exit de la maison des arts de Créteil en Mars 2012, repense l’expression corporelle grâce à un travail mêlant traitement numérique et exploration de la matière.
Ici, tout comme dans l’oeuvre de K.Dick, il s’agit de s’interroger sur la nature du réel et du vivant et l’on se rapproche en un certain sens, du “scrumble suite” ou « complet brouillé » décrit dans le roman de 1977  “a scanner darkly” ou   »substance mort » en version française[4].

Ce roman polyphonique se situe à l’intersection d’une œuvre et d’une vie, en explorant plusieurs strates de temps et différents niveaux d’expérience avec comme principal outil de diversification de la narration, cette combinaison capable de  projeter en alternance sur celui qui la porte le visage et le corps d’un million de personnes, mais à une telle vitesse que tout ce que l’on perçoit est décrit comme  “un flou nébuleux”.

Comme Bob Arctor, un drogué fuyant les cafards géants qui colonisent son esprit, s’habille du “complet brouillé” pour revêtir l’identité de Fred, agent des stups infiltré, Bart Hess, lui, endosse sa combinaison avec délectation, lentement, comme s’il inspirait ses dernières bouffées d’air frais avant que son être ne s’altère sous l’influence hypnotique de ce costume surnaturel.

Dans Echo, deux formes structurelles distinctes prennent forme. La première s’apparente à un voile transluscide bleu ou vert aux contours pixélisés qui va envelopper le corps de Hess. La seconde ressemble à des anneaux frétillants superposés de couleurs sombres que l’artiste va enfiler sur ses jambes puis à son cou.
Vu de profil, sa tête semble indépendante et détachée du reste du corps, elle bouge avec une certaine latence semblant s’élever omnisciemment vers une dimension supérieure. De face, elle est méconnaissable, les traits du visage devenant imperceptible à travers la texture diaphane et fragmentée de ce cocon. L’identité se dissipe peu à peu jusqu’à s’évanouir derrière cette carapace impersonnelle et polymorphe.

Pourtant, outil génial de déresponsabilisation et de dissimulation assumée, “le complet brouillé” va, à la manière de l’homme invisible de H.G Wells[5] amener peu à peu la destruction du personnage. Contrairement à son autre Moi, Fred l’agent fédéral n’est qu’un pseudonyme, il est asocial, empathique, intransigeant, détérminé, et brutal.
L’équilibre compartimenté entre Fred et Bob perceptible au début du roman s’efface peu à peu, les mots et les pensées finissant inexorablement par s’enchevêtrer dans une psychose schizophrénique.
Pour Bob Arctor, l’enjeu majeur sera de maîtriser cette dualité, ne pas oublier que ce masque atrophiant n’est qu’un instrument destiné à lui permettre la composition d’un rôle d’agent fédéral, un autre Moi, dont lui seul détermine le début et la fin de chaque représentation.

L’estime de soi, le Moi, se compose d’une âme, d’un corps et d’un vêtement disait William James[6], à chacun de déterminer son Moi le plus fort, le plus vrai, le plus profond de manière à hiérarchiser son type de Soi social en fonction de ses réussites et prétentions.
Mais alors que Bob Arctor perd pied, peu à peu, entre ses différentes personnalités éclatées, Bart Hess illustre ici avec originalité le spectacle d’un être, qui grâce à son vêtement se libère de ses contraintes physiques et psychiques.
Tout comme Fred, il ne devient alors dans cette enveloppe cristalline, plus qu’un lointain écho de la créature qu’il habitait auparavant.

[1]Durant le In Famous Carousel #6 du 13 novembre 2010.
[2]En 2009, aavec la collabortion de Lucy MacRae
[3]Il design la robe de slime pour le clip “Born that way”
[4]Philip K. Dick, Substance mort, France, présence du futur, 1978
[5]H.G Wells, l’homme invisible, France, livre de poche, 1975
[6]William James,  Précis de psychologie, Paris, les Empêcheurs de penser en rond, 2003

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