« GLOBAL STRING » DE ATAU TANAKA : UNE OEUVRE-INSTRUMENT INTERACTIVE

« GLOBAL STRING » DE ATAU TANAKA : UNE OEUVRE-INSTRUMENT INTERACTIVE

 

Utiliser l’espace virtuel comme caisse de résonnance est le concept de Global String  d’Atau Tanaka, une œuvre-instrument d’un nouveau genre qui vise à démultiplier l’espace de la performance artistique.

Global String est une installation musicale[1] interactive destinée aux galeries. Elle prend la forme d’une corde d’acier de 15m de long, connectée virtuellement par internet à une autre corde identique. Lors de la présentation au festival Ars electronica de 2001, l’installation était « reliée » entre Rotterdam (Ars electronica center) et Budapest (Trafo/C3).

Deux écrans viennent compléter l’installation :

  • Une visualisation en temps réel (visio-conférence) de « l’alter ego » de la corde (Budapest visible de Rotterdam et vice versa).
  • Une projection de la forme d’onde jouée sur la corde.

UNE INSTALLATION INFORMATIQUE

Global string est une installation musicale informatique dans le sens où aucun son ne provient concrètement d’une source physique ou analogique.

En ce sens, elle s’inscrit dans l’histoire de la musique informatique et plus particulièrement dans les réflexions autour du temps réel, notamment celles du pionnier Max Matthews[2] de l’université de Stanford qui liait action physique instrumentale directe et synthèse informatique en temps réel.

L’installation de Atau Tanaka propose une double synthèse informatique :

  • Le son de la corde : la vibration que l’on peut émettre en touchant/tappant/tirant la corde est traité par un environnement midi et des algorithmes afin d’aboutir à un son de corde cohérent avec la structure même de la corde physique (le son est métallique et brut).
  • La réverbération et l’espace : le son passe virtuellement par le réseau jusqu’à l’autre destination avant de se faire entendre. L’installation informatique synthétise un espace virtuel en adéquation avec la modélisation physique, avec ses propres particularités : sa latence, ses propriétés acoustiques qui viennent enrichir le son. La latence de la communication virtuelle est ici utilisée afin de créer un espace de réverbération et des effets de delay.

Dans ce sens l’action du physique a un impact sur le numérique. Et le numérique va imiter et décupler cette action physique. Ils deviennent indissociables, l’un ayant besoin de l’autre pour exister et produire un environnement sonore pertinent.

LA PERFORMANCE : L’OEUVRE-INSTRUMENT

Global string est aussi avant tout un instrument. Il est placé dans la galerie d’une façon où tout le monde peut l’essayer, peut tenter de créer ses propres sons voire mélodies.

A la manière d’un piano, il est direct. Il n’y a pas d’initiation nécessaire pour produire quelque chose. Néanmoins, on ne devient pas virtuose directement pour autant.
C’est pour cela que lors du vernissage, un bassiste « utilisait » l’œuvre à Rotterdam et Atau Tanaka à Budapest. [3]

Le global string est finalement l’équivalent numérique (dans le son et l’infrastructure) du monocorde, un des instruments les plus accessibles et les plus utilisés lors de la Grèce antique.

Comme tout instrument, il est un outil de performance. C’est à dire que c’est un moyen d’expression. Cet instrument étant positionné dans une galerie, son jeu porte en lui une approche sociale.

Une installation numérique et informatique peut être donc un outil de performance en liant les spectateurs (l’espace est ici démultiplié) et en poussant à l’expressivité la plus naturelle.

Le spectateur se met en scène : « Computers as theaters » (Brenda Laurel).[4]

LA PARTICIPATION

Le fait même que l’instrument/installation soit placé dans une galerie, pousse à la participation du visiteur, dans un mouvement de « décentralisation » de l’activité créative musicale. On donne au visiteur la possibilité de « faire ».

Cette idée va dans le sens d’un nouveau déroulement historique de la musique, que Tanaka appelle « musique dans laquelle on participe »[5], c’est à dire un retour à l’expérience sociale de la musique.

Tanaka est donc proche de la théorie du « musicking » de Christopher Small : c’est à dire voir l’activité musicale plus loin que la séparation écouter/jouer et création/consommation.

L’ESPACE NUMÉRIQUE : LE NOUVEAU « WALL OF SOUND » ?

L’installation de Tanaka peut ,enfin, être considéré aussi comme une transposition de l’idée du « wall of sound », initié par un Journaliste de NY times en 1884 au sujet de Faust de Wagner et utilisé de façon dogmatique et industrielle par Phil Spector.

L’idée du « wall of sound » est que l’espace, le post traitement, l’acoustique joue un rôle à part entière voire déterminant dans le son que le spectateur/créateur reçoit. Wagner travaillait sur un « abyme » par le placement d’un espace de 18 pieds entre les spectateurs et l’orchestre, qui devait aboutir à une fusion des timbres orchestraux. Spector lui multipliait les pistes et faisait passer ses bandes dans des chambres d’échos pour les réenregistrer.

On pourrait également faire référence à l’œuvre d’Alvin Lucier « I am sitting in a room », où la voix de l’artiste passe par des cinquantaines de « chambres » jusqu’à la rendre méconnaissable.

Le global string crée un « wall of sound » car le post traitement du son (même si il est fait en temps réel) est le son à part entière.

Mais il est aussi un « anti-wall of sound », car même si le son est post-traité, cela est fait de la manière la plus physique possible et dans le but de servir la performance, la participation autour d’un réel instrument.

L’utilisation des technologies numériques dans le Global String d’Atau Tanaka permet à la fois de synthétiser une véritable « expérience » physique-sonore tout en la démultipliant grâce à l’utilisation des propriétés du réseau comme caisse de résonance entre deux points du globe.

Il y a donc un double mouvement d’imitation et de démultiplication de l’expérience instrumentale et sociale du visiteur.

 

Alexandre J.

Images : © ataut.net

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[1] 2001. Avec la collaboration de Kasper Toeplitz. Prix Ars Electronica 2001
[2] Pour plus d’informations : http://createdigitalmusic.com/2011/04/max-mathews-father-of-digital-synthesis-computer-innovator-dies-at-84/
[3] http://www.ataut.net/site/Global-String,38
[4] Computers as Theatre, Addison-Wesley (1991)
[5] Conférence d’Atau Tanaka à Montréal (2 février 2011)
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