Le son par le corps : “Vent Tendu“

Le son par le corps : “Vent Tendu“

Pierre-Laurent CASSIÈRE, Artiste Sonore Plasticien se joue des limites de perception. Il nous propose de vivre l’expérience d’un mode d’écoute inhabituel, qui permet de vivre l’oeuvre sonore par l’intermédiaire du corps.

Un espace d’exposition est plongé dans le noir. Il est traversé par un câble en acier éclairé par ses deux extrémités. Silence.
Le visiteur observe et s’approche de ce câble qui semble transmette quelque chose. Le silence est tel que l’on devine un bruissement de la matière. L’auditeur en vient à poser son oreille sur le câble, c’est alors un univers complet de sonorités qui s’offre à lui.
L’écoute se fait par voie osseuse qui transmettent à l’oreille interne des ondes vibratoires elles-mêmes transmisent par l’acier et qui sont générés par des transducteurs électro-mécaniques. Le signal audio est généré par un programme informatique qui sur la base d’échantillons phonographiques du vent et de bruits de synthèse, crée des sons à l’infini. Il n’y a aucun début ni fin à l’oeuvre sonore.

Les ondes vibratoires (et donc le son) effectuent des allers-retours d’un bout à l’autre du câble. Cette réverbération, tel un écho, donne une sensation de spatialité sonore.

Désorientation

Deux espaces distinctifs? Des tensions entre son et espace, entre réel et virtuel.

La personne expérimentant l’installation se figure un espace sonore, et en parallèle un espace réel qui lui, est dénué de tout son. Comment ces deux espaces de nature différentes cohabitent-ils?
L’espace sonore provoque l’imagination du spectateur, qui se crée une image virtuelle d’un environnement dans lequel les sons se déplacent. La profondeur des bruits du vent ainsi que la vitesse des claquements et de leur va et vient, figurent un espace virtuel qui semble vaste et complexe.
Au contraire, l’espace «réel» d’exposition est élémentaire (4 murs) et sans bruit. Le vide créé dans la pièce invite les visiteurs au silence.

Une tension se crée entre un espace réel qui est simplement occupé par un câble. Et un paysage virtuel sonore qui nous est transmis par ce même élément et que s’imagine l’auditeur. L’un devient-il le complément de l’autre? Ou bien le spectateur est-il positionné entre deux espaces qui ne font pas appel aux même sens?

La pénombre / La lumière

Deux expériences de Vent Tendu différentes?

L’installation Vent Tendu n’est pas toujours exposée telle qu’elle l’a été au festival Exit (dans une salle plongée dans le noir, avec des spots éclairants d’un bout à l’autre le câble), elle est parfois proposée dans des espaces tout aussi neutres, mais aux murs blancs et baignés de lumière.
Ces deux modes d’exposition font-ils une différence dans l’expérimentation de l’auditeur? L’appréciation de l’oeuvre est-elle la même?

La salle plongée dans le noir supprime toute notion d’espace et d’environnement visuel au spectateur. Dénué de repères, il est alors beaucoup plus à l’écoute de ses sens et apte à vivre une expérience sensorielle. Ce mode d’exposition est propice à l’imaginaire et à la projection d’un espace virtuel à l’endroit même où il se trouve. Il crée un espace visuel autour de lui. Barnett Newmann dit que le noir est la couleur du « vide pour faire place à l’expérience ».
Lorsque Vent Tendu est exposé dans un espace lumineux, même si celui-ci est tout aussi rudimentaire, un contexte architectural s’impose au visiteur. Nous pouvons voir deux espaces différents à la Villa ARSON ( modèle du White Cube ) et au centre d’Art du Fort Bruissin ( ancien Fort militaire du XIXème ). Le visiteur ne peut se détacher de l’atmosphère émanant de la pièce. Je ne veux pas dire ici que l’espace est une limite à l’expérience sonore, mais que l’imaginaire sonore du visiteur s’inscrit dans ce cas là dans un espace pré-dessiné par l’environnement.

Un mode d’installation propice à l’écoute.

Quoi de mieux que le silence pour mettre en valeur le travail d’un plasticien sonore?

Ce silence et la neutralité du lieu d’exposition permettent une disponibilité des sens du visiteur. L’ouïe est un sens constamment suscité, et le silence nous interpelle. Aucune autre aptitude que l’ouïe n’est interpellée. Le minimalisme de la mise en place permet de ne pas se focaliser sur l’apparence de cette oeuvre, et laisse place à l’expérience sonore qu’il propose. La mise en lumière du câble, permet de mettre en avant l’objet de l’expérience. Le relation de l’auditeur à l’espace est une ligne directrice du travail de Pierre-Laurent Cassière ( cf. Article sur Schizophone ). L’artiste expose son oeuvre, mais laisse toute liberté au visiteur de l’expérimenter. Ce silence active la curiosité de l’auditeur, qui fera le choix d’interagir avec l’oeuvre.

Décomposition

Métaphore Instrumentale / Le son tactile

Le corps est la caisse de résonance dans lequel les ondes vibratoires se transforment en un paysage sonore fait de claquements, de bruissements et de souffles. Le câble est le liant entre l’auditeur et les ondes vibratoires. La matière par laquelle passe le son afin qu’il soit perceptible et audible. Le visiteur est amené à avoir un contact physique avec l’oeuvre pour que le son atteigne le système auditif, il est conduit à poser la tempe sur le câble. Le corps de l’auditeur devient alors l’élément d’un instrument, le prolongement de l’oeuvre de Pierre-Laurent Cassière. L’artiste va plus loin que l’expérience interactive et sonore, il use du corps de l’auditeur et en fait l’élément clé à l’écoute du dispositif sonore. Le corps comme support d’écoute de l’oeuvre.

C’est par les vibrations transmises à la matière (le câble) puis au corps que le son se répand et devient audible. Pierre-Laurent Cassière transforme le son, qui par définition est un élément impalpable, en expérience corporelle. L’expérience sensitive devient physique. Le contact avec la matière est essentiel à la compréhension de l’oeuvre. L’artiste ajoute à l’expérience sonore, une expérience du corps comme objet de transmission.

L’artiste décompose chaque élément d’un dispositif sonore classique. L’homme et son corps (ex : le musicien), générateur, créateur de sons devient ici un objet récepteur (le squelette fait office d’amplificateur pour le système auditif). Il n’est pas seulement l’oreille, apte à saisir les ondes sonores, il est la matière par laquelle se diffuse le son. La corde, ici le câble, matière sur laquelle le musicien apporte des tensions afin de générer des vibrations et donc du son, n’est plus l’élément sur lequel on agit mais devient la matière de transmission du son vers l’auditeur. Le générateur de vibration (initialement le musicien) est ici un transducteur relié à un ordinateur qui diffusent les vibrations correspondants à des sons.

Délocalisation

Expérience personnelle, expérience du corps.

Comment réaliser une expérience sonore personnelle, sans l’aide de casque qui isole du bruit environnant?
Le son est transmis d’une façon inhabituelle à l’auditeur. L’écoute se fait dans la matière, par la matière et avec l‘intermédiaire de son propre squelette. L’artiste effectue une délocalisation de l’écoute et de la transmission du son. Habituellement capté dans l’air, et transmis par amplification, audible de tous dans un espace, Pierre-Laurent Cassière transforme l’expérience sonore collective en une expérience personnelle et intracorporelle.
Le son ne peut s’apprécier habituellement que par l’intermédiaire du système auditif. C’est cette fois-ci le corps de l’auditeur qui est mis en jeu. Le squelette fait office de transmetteur des ondes vibratoires. Chaque auditeur est son propre amplificateur.
La délocalisation se situe aussi au niveau de la transmission du son d’un espace à l’autre. La source des vibrations n’est pas dans l’espace d’exposition. En tant qu’auditeur nous pouvons habituellement identifier la source sonore, ainsi l’artiste bouleverse nos repères en supprimant toute reconnaissance visuelle qui nous permettrai de comprendre la provenance des bruits émanant de la matière.

Faut-il développer une symbolique autour de cette oeuvre?

“Vent Tendu“ donne l’impression que le son est produit par la matière (par définition, l’acier est inerte). Ceci donne une dimension fantastique, magique à l’oeuvre. L’inconnu est divin.
Le câble est disposé en travers de la pièce du haut vers le bas. Ceci pourrait être la signification de l’ascension d’une source sonore, provenant soit du sol, soit de quelque chose de plus haut. Et par conséquent emmènerais l’auditeur à effectuer ce chemin de pensée.
Certes, la lumière est un objet de représentation symbolique forte. Elle renvoie au pouvoir de la divinité et de la révélation. Mais doit-on voir ici un lien quelconque? Pouvons-nous tirer un sens de cette mise en lumière directionnelle avec l’expérience sonore, les types de sons proposés (claquements, bruissements et la disposition du haut vers le bas du câble?

Tel que nous pouvons le voir dans l’histoire de l’art avec le mouvement impressionniste ou avec des peintres tel que le Caravage ou Turner, la lumière est d’abord l’élément essentiel à l’artiste, qu’il soit peintre, architecte ou plasticien. Elle est le moyen de mettre en valeur une oeuvre à sa juste valeur.

Il est certain que ce dispositif crée une sensation de monde parallèle fantastique voir divin car beaucoup d’éléments sont rassemblés. Sans pour autant en tirer des conclusions de symbolique trop imposantes, je pense qu’il faut rester dans l’expérience sensitive et personnelle de l’auditeur. L’artiste à su mettre en oeuvre tous les moyens pour que le visiteur puisse se créer son propre espace virtuel sonore.

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