Saint Georges terrassant le présent
Les expériences récentes, passant par l’Abbaye de Fontevraud dont je réalisais en 2000 le parcours multimédia, et l’Arc de Triomphe, dont nous venons avec Christophe Girault, de réaliser l’installation permanente, m’ont permis de découvrir la puissance des forces de conservation où intelligence et savoir faire se concentrent sur la négation du devenir, et la préservation de la pierre de toute présence organique réputée néfaste àla Mission.
La pierre prime sur la fonction, la lettre sur l’esprit, la matérialité sur la spiritualité alors on préfère décaper àressusciter, figer àadapter, rétablir àconstruire sans penser qu’il n’y a pas lànécessairement un antagonisme simpliste (passé/futur) mais complémentarité et confusion de matière : faut-il conserver d’une époque son dynamisme intellectuel ou sa pierre taillée ?
La question n’est pas de la nécessité de préserver les traces d’un passé glorieux mais de la faire sans oublier que c’est la dynamique, c’est-à-dire la propriété de ce passé àévoluer pour construire les fragments de gloire dont on s’enorgueilli maintenant sans mérite et si possible sans futur, qui nous a conduit àpenser la nécessité de sa conservation.
C’est ainsi que Paris s’englue dans son histoire et confond préservation et capitalisation, oubliant au passage de construire ce qui sera son patrimoine de demain, mettant son énergie dans la quête infinie d’un passé qui n’a de valeur que par le présent qu’il engendre. On conserve la pierre comme les reliques des saints. Fragments d’os en décomposition dont on présume qu’ils contiennent encore quelque chose de la valeur des hommes qui les animaient.
Quand on cherche àarrêter le temps parce que vivre c’est détruire on envisage sans honte mais non sans rage de geler le bébé avec l’eau du bain.
L’extrême orient nous apporte alors dans ce que nous critiquons le plus. Car en Chine, au Japon, détruire pour reconstruire un temple, c’est préserver sa forme et sa fonction au-delàde l’entropie propre aux matériaux de construction, substrats provisoires d’édifices définitivement temporels.
Le projet est ici une proposition d’armoiries pour les services français du patrimoine.
L’image de Saint Georges terrassant le dragon surmontant une devise :
“Qu’importe que la bête meure, nous blanchirons ses os”
Citons en passant cet extrait de l’excellent livre de Bruno Latour et Emilie Hermant :
« N’est-il pas étrange que tous ces révolutionnaires enfiévrés, ces édiles en mal de voie sur berge, ces architectes fous qui voulaient raser Paris pour en faire un parking aient fait tous ces rêves d’utopie dans l’une des plus vieilles, des plus encombrées, des plus tortueuses, des plus sédimentées de toutes les villes millénaires ? Aujourd’hui, hélas ! la balance de l’histoire a viré vers l’autre extrême. Après avoir voulu priver Paris de son passé, voici que des armées d’historiographes, de restaurateurs, de muséologues et de gardiens de cimetière veulent maintenant priver Paris de son avenir. » Paris Ville invisible, éd. La Découverte 1998