Les Yeux crevés
Durant ses cours à la Sorbonne, Bernard Teyssèdre aimait à dire que les plasticiens devraient fuir l’évidence, car elle crève les yeux.
C’est là un des précieux paradoxes qu’il faudrait questionner (torturer jusqu’à ce qu’il parle, quoi qu’il ait à dire, ou qu’il se taise pour toujours).
A supposer que l’artiste ait pour mission d’ouvrir les yeux, les siens tout d’abord pour mieux voir le monde, ceux des autres ensuite pour qu’ils voient ce qu’il a vu.
Traquer l’évidence est bien alors dévoiler ce qu’elle masque, ce que cache à nos yeux ce que l’on croit savoir.
D’un autre côté les œuvres les plus fortes nous frappent par une évidence d’une autre nature. Il nous semble qu’elles n’auraient pu être autres. Non seulement que leur composition graphique et chromatique aurait atteint une forme de perfection incontestable, mais il y aurait en elles une forme d’évidence, de cohérence extrême, qui nous ferait penser que la chose n’aurait pu ne pas exister. On se demande en même temps pourquoi on ne l’avait pas rencontrée plus tôt. En cela la rencontre esthétique rejoint la rencontre amoureuse. L’évidence de ce que l’on retrouve dans l’autre de rencontre que l’on reconnait soudain comme l’objet d’une quête nécessaire.
Le projet est ici de promouvoir les formes sublimées de l’évidence.
Pour faire simple et facile, regrouper dans un espace d’exposition un ensemble d’œuvres dont l’évidence serait telle que les visiteurs serait conduits à se demander où est l’exposition.
Un autre projet répond à celui-ci, certes plus difficile, mais on en rêve. Un seul objet, ou absence d’objet, qui sidère le spectateur par son évidente pertinence. Un objet de l’ordre de ceux qui font que l’on repart sans poser de question.
Il se pourrait que l’évidence en art émane de ce qui contient à la fois la question et l’essence du questionnement, de sorte que chacun accepte de vivre avec l’absence de réponse.