Collective Retinal Memory: The weight of a look in an anthropocentric space

— Art Impact, La mémoire partagée à perte de vue

Du 20 juin au 4 avril 2000 était présenté au centre Pompidou l’installation : Art Impact, Collective Retinal Memory . Depuis la date de l’ouverture une création du même titre est accessible sur Internet. Par ces deux modes de présentation d’un même dispositif c’est le problème de la réception et de la présentation de l’œuvre en réseau dans un lieu d’exposition « physique » qui se trouve posé.

Art Impact, Collective Retinal Memory met en scène plusieurs propos parallèles. En Avignon l’exposition La Beauté constitue la matière de l’œuvre. En effet, en ligne et dans le Centre Pompidou le public découvre certains lieux de l’exposition. C’est lieux peuvent être explorés sous forme de photographie sphérique. Sur Internet, c’est une fenêtre qui s’ouvre sur cette photographie et le visiteur peut parcourir le lieu du regard avec le sentiment d’être entouré par l’espace d’exposition. A partir des mêmes éléments, dans le cadre de l’exposition, le spectateur peut explorer les mêmes éléments photographiques grâce à une paire de jumelles virtuelles, ou plutôt jumelles d’exploration virtuelle dans la mesure où l’objet physique permet d’explorer la représentation suivant pour ce faire nos gestes qui déplacent le point de vue. Il n’y aurait là rien de bien nouveau s’il n’y avait une seconde image. Sur Internet, les deux fenêtres sont disposées l’une sur l’autre. Dans l’exposition, une image – ou plutôt une série d’images d’Avignon – n’est visible qu’avec les jumelles et l’autre occupe une surface de projection de 3m x 12m. Cette seconde image constitue ce que je nomme : la « rétine à mémoire ». Cette image est aussi une vue sphérique explorable au même titre que les panoramas de l’exposition. Contrairement aux images d’Avignon elle est composée en temps réel de la trace des regards multiples qui explorent les autres images (les différents point de vue de l’exposition la Beauté). Sur Internet et sur l’écran du centre Pompidou chacun peut découvrir la trace des regards des autres, chaque nouvelle trace intégrant les fragments d’intérêt des uns et des autres dans un nouvel espace qui est à proprement parler un espace mémoire. Ce n’est plus un lieu physique laborieusement traduit par une image nécessairement réductrice, c’est l’assemblage symbolique de la mémoire des regards comme si internautes et visiteurs de l’exposition partageaient une même rétine à la rémanence délatrice.

Le parcours du regard sur la surface du monde exploré ne constitue pas la seule trace que laisse le visiteur. A chaque lieu est associé un environnement sonore créé par Jean-Baptiste Barrière qui part des enregistrement effectués sur place superposant les captures de l’image et du son en une seule tentative de rendre compte de l’espace et du moment. Les sons spatialisés dans l’exposition du centre Pompidou suivent la topologie de l’image, mixant la trace des écoutes au même titre que l’image mixe la trace des regards.

Le poids du regard dans un espace anthropocentrique Sur Internet, il faut « rafraîchir » la mémoire pour visualiser l’impact de son parcours visuel sur la rétine collective. Dans l’exposition c’est chaque seconde qu’apparaît un nouvel état de la rétine. Ce que l’on regarde avec les jumelle est orienté selon des coordonnées polaires reprenant celles du lieu dans l’exposition d’Avignon. Passer d’un lieu à l’autre dans son exploration, c’est remplacer en conservant l’orientation certains fragments de mémoire. Insister sur un détail, c’est donner plus d’opacité donc de présence. Zoomer sur un objet, cela signifie changer sa dimension relative sur la rétine. L’architecture de la mémoire se défini progressivement comme un espace unifié et changeant dans lequel la perspective se plie à l’intérêt manifesté du spectateur. C’est un espace unifié dans la mesure où il construit le monde autour d’un spectateur théorique devenu la somme des visiteurs. La fenêtre du palais des Papes côtoie les extérieurs du Clos des Trams avec pour ciel la voûte de la chapelle Saint Charles. Si le résultat n’est pas qu’un simple patchwork de lieux éclatés c’est qu’il est équilibré par le regard qui donne à chaque fragment intégré une importance proportionnelle à son potentiel de séduction rétinienne. De chaque lieux sont conservés les éléments les plus parlants, au regard de la réduction opérée par la médiation photographique. Constituée d’un panorama total (360° ans les deux direction), la rétine n’est visible que partiellement dans la fenêtre de l’exposition. Pour rendre visible les zones d’impact, le regard du visiteur armé de jumelles donne du poids à la zone concernée. La sphère rétinienne est ainsi attirée vers le centre de l’image institutant un système gravitationnel fondé la focalisation.

La composition de l’image résultante s’effectue donc à plusieurs niveaux. Elle est contrainte par l’orientation des lieux explorés (Nord Sud Est Ouest), elle se plie aux gestes du regardeur qui n’en finit plus de refaire le tableau, elle a une existence au delà du cadre dans un hors champ provisoire.

L’interface et le geste du regard

L’interface utilisateur comme surface de contact entre le visiteur et l’image permet un dialogue bi-directionnel. Elle permet de découvrir les parties masquées de l’image en même temps qu’elle écrit la trajectoire du regard. Tant qu’il reste difficile de suivre le regard parcourant la surface d’une image, il est aisé d’en déduire les points de focalisation en suivant le glissement de l’image sur Internet ou le déplacement des jumelles sur le lieu d’exposition. Cette information devient la base de la composition de l’image.

Traçabilité et séduction rétinienne

La traçabilité de l’indvividu en réseau qui fait que personne n’est à l’abris du regard de l’autre devient ici un élément déterminant dans la construction du sens. En Avignon, les oeuvres et les lieux font l’objet d’une exploration physique. Le visiteur de l’exposition peut choisir sont point de vue, vivre pleinement l’espace comme un objet kinesthésique, sur Internet, l’image nous offre que la possibilité d’une perception rétinienne de l’objet. Prendre en compte l’intensité du regard pour établir une hiérarchie dans la composition des éléments observés, c’est réduire la perception de l’art à l’appréciation visuelle de sa représentation.

La Beauté et après

Le thème de l’exposition d’Avignon est bien évidemment déterminant dans ce projet. Dans le propos de Jean de Loisy, son commissaire, elle propose des discours parallèles juxtaposant création artistique et fragments de nature sélectionnes par l’homme pour leurs propriétés esthétiques. Art Impact ajoute à ces lieux et ces objets d’autres lieux de la région d’Avignon qui retiennent l’attention en dehors de toute intention esthétique : les carrières de vers, un supermarché, des abattoirs. Traces de la surface de contact homme/nature trahissant des processus liés aux fonctions de survie, l’image de ces lieux exerce sur le public une attraction rétinienne comparable à celle des choix de l’exposition. C’est un combat permanent qui s’opère sur le terrain de la curiosité, et qui met en scène l’équilibre des intentions, des formes et des actions dans la mémoire des regards. Au delà du rétinien, l’image de la mémoire en perpétuelle mutation donne un sens à la lutte en refusant tout constat définitif.

La construction de l’espace de la mémoire

Art Impact , se propose comme une représentation de la mémoire par la construction d’un espace singulier et fusionnel. La « rétine à mémoire » est en elle même un espace d’exposition qui fonderait ses choix pour partie sur l’intention de celui qui les offre, toujours explorables dans leur totalité, mais qui donnerait à en voir la trace comme si le visiteur, dans ses choix rétiniens, marquait l’image des ses désirs. L’espace du virtuel ne peut se satisfaire d’être le monde, la matière en moins. En temps qu’espace d’information, il doit travailler sa texture propre prenant en compte la nouvelle donne spatio-temporelle qui modifie le rapport du lieu au corps, de la mémoire au temps, de l’individu au groupe. Il en résulte une relocalisation de l’homme au centre périphérique de l’information dont il ne maîtrise pas le flux et l’évanescence.

mb 2000

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