Le virtuel, c’est le réel avant qu’il ne passe à l’acte. (...) Le monde virtuel c'est l'actualisation de l'utopie signifiante.

— Un monde trop humain: Nouveaux, meilleurs et autres mondes

Un monde trop humain
Nouveaux, meilleurs et autres mondes

Le nouveau monde
Le meilleur des mondes
L’autre monde
Tout d’abord : passer en revue les deux mondes (vite).

Virtuel et réseaux : territoires ou trajectoires ?
Nouveau continent et terra incognita.
La face cachée du monde.
Pour la première fois on ne parle plus d’extension du réel physique mais développement d’espaces parallèles.
Matériels et immatériels.
Mais c’est aussi une illusion qui produit du réel.
Le virtuel est un moment du réel.
Plus souvent espace symbolique (espace métaphorique, recherche d’équivalences, d’analogies avec le réel)
Espace de communication.
Espace d’écriture : au delà du commerce des biens et des messages, s’affrontent économie et poétique des réseaux.
C’est aussi non espace
Quelles frontières, quelles distance, quelle échelle ?
Quels combats, quelle économie, quelle exploitation ?
quelles croyances, quelles utopies ?
Quelles causes sert la conquête de ces nouveaux territoires.
Quelle est la mesure de cet espace?
C’est le corps qui mesurait l’espace physique (le pied, le pouce, la coudée, le pas…) Sur les réseaux, l’unité c’est l’octet, le caractère, le signe…
C’est un espace de signes qui se mesure en signes.
Plus de place, espace vital, place disque et place mémoire.
Un nouvel espace/temps/sens.

Etant donnés :
1 / le réel
2 / …   quelles utopies cachent nos horizons?

Virtuels
L’histoire récente du terme « virtuel », au travers de ses avatars médiatiques, est à l’image de son sens premier : elle est constituée d’une succession et d’une juxtaposition de sens voisins qui résultent de l’appropriation par chacun d’un terme aux contours flous. C’est une tentative de désignation d’un objet à l’histoire récente qui échappe à la terminologie. Selon qu’on en considère l’origine, le substrat, l’enjeu ou l’aspect, le terme prend une signification différente. C’est une piètre justification que de prendre la multiplicité des sens et la confusion lexicale comme la manifestation de son essence, l’expression d’un mutation potentielle à l’œuvre. Bref un mot au devenir lié à l’utilisateur, virtuel lui-même dans son actualité.

En attendant que les académies tranchent, en temps différé, précisons les usages qui seront les nôtres, ici.

On parlera du « virtuel » (nm), reprenant en cela le sens commun, l’usage actuel du terme tel qu’il est véhiculé par les médias, pour désigner l’ensemble du champ numérique/réseau.
On utilisera l’adjectif « virtuel » ou l’on parlera de « virtualité » pour évoquer ce qui relève de la potentialité, dans le sens de « en puissance » et qui s’oppose à « actuel » c’est à dire « en acte ».
Comme beaucoup d’autres nous parlerons de « réalité virtuelle » pour caractériser les univers tridimensionnels immersifs, générés par l’ordinateur, en temps réel. Par extension, les « environnements virtuels » sont les univers eux-mêmes et les éléments qui les constituent. Les « mondes virtuels » : ces environnements ainsi que l’ensemble des lois qui les régissent indépendamment du mode d’observation, immersifs ou non.

fiction virtuelle
L’expression « réalité virtuelle » sème le trouble. La virtualité est le propre du réel. Ensemble complexe de potentialités dont le nombre se réduit en s’actualisant. L’actuel n’est pas neuf, il est, par défaut. On peut se demander si en utilisant la formule « virtual reality » Jaron Lanier ne voulait pas signifier « presque réalité », ce que l’expression anglaise sous entend, impressionné qu’il était par le sentiment de réalité dégagé par les techniques d’immersion (casque stéréoscopique avec système de capture magnétique du mouvement destiné à synchroniser le déplacement du spectateur avec l’image en perspective du monde qu’il visite). Libéré de la pulsion réaliste le monde virtuel accroît sa différence. Ce qui fait sa singularité ce n’est pas une copie inachevée de la réalité, mais c’est une fiction qui partage avec le réel une propriété fondamentale qui et la virtualité. Il faudrait bien plutôt parler de « fiction virtuelle » et c’est là que dans l’ordre des techniques de représentations se positionne le dernier avatar d’une pulsion de transmission, de communication, qui change de véhicule comme de décennie.

Planète Interdite
Quelle est la logique et la cohérence des mondes virtuels?
Peut on parler, comme au cinéma, d’une logique spatio-temporelle du récit?
L’espace virtuel est il en phase de stabilisation?
Tous les mondes se structurent-ils autour ou après un chaos?
Y a-t-il une ère post « big bang » dans l’histoire du virtuel ?
L’explosion des frontières, des limites de la matérialité. On suppose que les lois de la physique sont antérieures au Big bang comme acte originel.
Si l’on parle de « monde », c’est que l’on confronté à un système qui suppose un rapport particulier à l’espace-temps, qui produit son biotope, sa faune, sa flore, sa géologie, sa géographie, sa synesthésie… Bref ses lois et ses règles de fonctionnement et de développement.
L’Amérique a été et est encore un espace d’écriture. Un palimpseste même dont on a effacé l’histoire antérieure pour s’approprier le support. Le virtuel c’est la page blanche qui n’est pas encore papier. Il faut en penser l’atome et les molécules, la texture et la couleur, les aspérités et l’aptitude à attirer et préserver la trace, la possibilité de l’effacement et la fatalité de la dégradation.
Le virtuel a-t-il son entropie ?

Partager l’espace, ce n’est pas nécessairement partager le lieu.

Exploration multimedia
Mais, bon Dieu, dans quel monde errons nous ? (en quête de réponses et de certitudes).

Sa géologie relève d’une syntaxe.
Les dimensions qui l’expriment ou le décrivent ne sont plus altitude, largeur longueur mais sens, temps, espace, action/réaction.
une nouvelle causalité
un rapport de sens
une cartographie
un pré-texte fédérateur
une fiction non linéaire;
une mimesis  à l’épreuve du photon, post photographique
décrire la lumière
écrire avec la lumière
écrire la lumière
écrire le monde dut-il produire la lumière (ou le son, ou l’odeur…autant de modes de perception du monde)

Pousser les limites du monde c’est peut être réduire le rêve.
Dans le réel partagé, atteindre un nouveau territoire c’est réduire sa dimension imaginaire en le réifiant. (l’Amérique, la lune…) l’actualiser c’est réduire ses potentialités (la lune est une sphère solide et dénuée d’atmosphère, poser le pied dessus, c’est la fin des sélénites et autres peuplades fantasmées). Découvrir le virtuel, c’est peut être poser le pied dans le rêve, ça laisse des traces. Un petit tas pour l’humanité.

Extraterritorialité
Il ne s’agit pas d’une autre géologie, d’un autre climat, d’une autre faune ou d’une autre flore, d’autres peuples avec d’autres langages. C’est une recomposition de notre monde en tissant entre les hommes un espace d’échange et de rencontre, de représentation, de fiction et communication. On est trompé par la terminologie qui donne à croire que le cyberespace est la transposition, l’atome en moins, du réel.
Corps à corps avec le réel. C’est la suppression de ses dimensions en leur substituant un autre système, une autre physique, une info-physique, gestions des flux et des proliférations. Interface transparente ou filtrante entre les hommes.

La traçabilité comme substitut de la carte 
Le territoire du virtuel…
La carte est une représentation figée du monde, la traçabilité des réseaux c’est une carte dynamique, constamment réactualisée (et réactualisable).
Voilà une contrée à la structure instable dont la cartographie mouvante est fondée sur le suivi des explorateurs. La proximité thématique peut aisément se substituer à la proximité géographique, les strates iconographiques aux strates géologiques… A nouveaux territoires, nouvelles cartes sans risques de recouverte.

Logique booléenne des croisements de sens.
A la suite des modes de représentation qui l’ont précédé, le monde virtuel est surface de projection. Intersection de la projection de la vison de l’auteur avec celle de la perception du visiteur. C’est ce que le monde virtuel partage avec toute autre forme d’écriture. La différence se situe probablement en ce que la surface de projection s’adapte de façon dynamique à la présence plus ou moins physique du visiteur (explorateur?).

Le monde virtuel c’est l’actualisation de l’utopie signifiante.
La matière de ces mondes, c’est l’information
L’atome a laissé la place au signe. Construire dans le monde virtuel c’est architecturer l’information, scénographier la communication, rendre visible l’invisible. Transformer l’immatériel en entités manipulables.
Le projet communément partagé de l’écriture ou de la création artistique, quel qu’en soit le support, c’est la mise en forme de la pensée. L’encapsulage, création d’un véhicule/medium susceptible de la transmettre de la communiquer (de la rendre commune) avant de communiquer. La langue puis l’écrit ont constitué un vecteur dominant dans la communication de la pensée. Suivant un parcours parallèle l’image devenu signe graphique matérialise dans le sensible ce désir de partage. Elle contribue à une approche syncrétique de la réception des messages. Le monde virtuel réussi l’utopie d’être la mise en forme immatérielle de l’immatériel (la pensée, le signe, le message). L’implantation dans un non-lieu avec un degré de réalisme qui ne doit rien à la matérialité ou la ressemblance mais à l’expérience quasi-physique du discours.

Les explorateurs du nouveau monde
En tant qu’espaces symboliques, les mondes virtuels nous proposent une expérience unique dans l’histoire des techniques de représentation. Pour la première fois le spectateur est pris en compte par l’image. Il fait partie du monde qu’on lui donne à voir, à vivre et à lire. Une représentation qui prend en compte notre présence dépasse le stade de l’expérience spectaculaire. Contrairement au film qui nous propose de participer à l’action par projection mentale, le monde virtuel nous propose une construction scénaristique fondée sur un enchaînement d’événements qui nous est personnel. Celle-ci dépend en effet de notre action, de nos réactions, voire de notre simple présence. Parce que nous sommes là, le monde est différent. En marquant sa différence, il se manifeste à notre entendement, suggérant des interactions-signes qui constituent l’unité du discours. Ce n’est pas ce que l’on découvre qui fait sens, mais comment la relation entre les éléments constitutifs du monde réagissent à notre présence. L’interaction n’est pas alors une possibilité de choix multiples, mais la confrontation de notre libre arbitre à la résistance d’un monde symbolique. Nous sommes explorateur d’un monde qui nous parle. Nous en découvrons la logique, la topographie et l’écosystème en même temps que nous commençons à le comprendre.

Quelles architecture pour le virtuel?
Logique spatiale, l’architecture du virtuel n’est pas là pour protéger des intempéries. Quand il n’est pas une simple transposition mimétique du réel, le mur virtuel est un masque provisoire, il contraint le mouvement, retarde la découverte, sépare les informations. La reconstitution illusionniste de ce qui a été, sera ou échappe définitivement à l’actualisation (utopie), relève d’une démarche possible mais non déterminante de ces champs de représentation. Cette approche relève de l’enregistrement de l’entrée d’un train en gare de la Ciotat. La fonction-mémoire du cinéma est importante, ce n’est pourtant pas elle qui fonde la pratique cinématographique telle qu’est s’est développée au XXème siècle. Il a fallu attendre que la compréhension de la logique du film et de ses potentialité trouvent leur point de maturité dans une autre appréhension de l’espace et du temps. On est passé du re-présenté à l’écriture. De la reproduction à la fiction. De la linéarité intrinsèque du support filmique à la discontinuité spatiale et temporelle en jeu dans le montage. C’est la compréhension de cette liberté qui nous a rapproché de modes de narration issus d’un dépassement d’une lecture naïve des finalités de tout nouveau medium. La carte n’a pas besoin de recouvrir le territoire pour le représenter. Rendre compte du réel, ce n’est pas imiter le réel.

Le virtuel, c’est le réel avant qu’il ne passe à l’acte

Réalisme et infra-réalisme
Le monde virtuel est la transposition, dans le discours, du réel connu. Au delà de l’extra-territorialité propre à la conquête de nouveaux espaces, nous entrons dans une inter-territorialité qui construit – par et sur – le partage des territoires symboliques. Nous ne sommes pas simplement dans la retranscription « réaliste » du monde – fondée le plus souvent sur l’analogie de surface issue d’une réception optique – mais dans la prise en compte des lois génératrices de cette apparence. On ne capte plus la lumière mais on recrée le phénomène physique, on ne simule pas une déplacement mais on reproduit les lois comportementales qui le produisent, on n’imite pas le résultat d’une évolution, on définit les règles génétiques qui s’épanouiront dans le temps. On écrit les causes plutôt que de reproduire les effets. On écrit au lieu de décrire. C’est en cela qu’il faut parler d’infra-réalisme, de réalisme des profondeurs.
Se limiter à cette pratique et à la validation de l’analogie avec le réel comme finalité et légitimité ne serait qu’un aveu d’impuissance. Tenter l’impossible et désespérante reproduction d’un monde dont la production nous échappe.
Loin de cette finalité technicienne les auteurs du virtuel devront tenter de mettre en œuvre cette potentialité

Situations 
Des situations questionnantes, donner à vivre après avoir donné à voir.
Face à la nouvelle place attribuée à l’homme dans le spectacle, l’auteur du virtuel se trouve confronté à une mission qui renouvelle son rapport à l’œuvre. Il n’est plus là pour décrire l’enchaînement des événements, une succession de faits, la composition d’une image, bref l’organisation fixe et réitérable des éléments constitutifs de l’œuvre organisés dans le temps et dans l’espace pour toujours. Il conçoit l’ensemble des règles de fonctionnement, d’évolution, d’interaction qui déterminent l’apparition des phénomènes en corrélation avec l’action ou la participation du visiteur.

« Démiurge offre situations à vivre »
L’homme explorateur et démiurge d’un monde à sa mesure (à son échelle).
Avec le virtuel, le rôle démiurgique de l’auteur prend des proportions nouvelles.
Il devient créateur de situations signifiantes.
L’auteur du virtuel se situe donc à mi-chemin entre l’auteur de fiction traditionnelle (roman, cinéma…) – qui crée un univers rendant lisible sa logique par la lecture d’une succession figée d’événements – et le créateur supposé du monde que nous connaissons qui, partant des lois de la physique et d’un nombre limité d’éléments, serait à l’origine de l’environnement dans lequel nous vivons dans toute sa complexité. Du premier il retient la volonté de dire,  du second, la logique d’évolution dont il fait la syntaxe d’un texte à vivre. Et c’est ce texte, plus que l’immatérialité, qui distingue la fiction virtuelle du réel tangible. Derrière le monde de fiction à vivre, il y a un texte produit par l’homme qui parle aux hommes. Rien n’est moins certain pour le réel physique.
Si l’Eden biblique est une situation test (mise à l’épreuve) dont les premiers hommes se sont mal sortis, les mondes virtuels constituent parfois des situations qui peuvent aller de l’expérience physique au questionnement métaphysique. La prétention excusable de l’homme qui se réapproprie la création d’un monde écrit tel qu’il l’a crut dit.

La topologie du virtuel n’a pas à subir le principe de réalité. Elle s’organise autour de son pré-texte en une géographie sémantique dynamique à la physionomie changeant au gré de l’exploration individuelle. Seule structure résistant aux mutations du particulier : l’ensemble des règles qui régissent ces mondes. S’il prend la forme de la mise en acte des lois de la physique, le nouveau monde suit celle des lois d’évolution et d’organisation définies par l’auteur. Contrairement à son référent, ce monde de signes est porteur de son discours. L’auteur le rend lisible en faisant de tout événement un signe, de toute action une rencontre avec le sens, de toute visite une réécriture destinée à un lecteur unique. Le visiteur devient alors à la fois le destinataire, le catalyseur, le filtre, le prétexte et la condition sine qua non de la révélation.

La révélation est à entendre ici comme message provisoire, susceptible d’infini mutations. C’est la dé-couverte du sens par la multiplication des interférences entre action (du visiteur) et réaction (du visité) et réciproquement.
Ces mondes résistent pour mieux parler. Soumis à la question, ils parlent, mais c’est en fait eux qui sont la question. En situation, le visiteur est confronté à un univers qui échappe à la pseudo-évidence du quotidien. Non neutralisées par la banalité, ces situations interrogent ce qu’elles mettent en scène. Le monde virtuel est rarement une réponse, il est une partie de la question que l’explorateur complète par sa présence et son action. La réponse ne saurait venir, puisque du déséquilibre créé par l’absence de réponse à une question sans cesse renouvelée, naît la marche du Jeu. Parce qu’il s’agit bien d’un jeu! D’un jeu comme réponse à la question de l’absence de réponse.

Finalité sans fin
Pour un film d’animation, lorsqu’on parle de la Bible, il s’agit du document qui décrit le monde et les personnages qui le peuplent.

Nous sommes dans un monde de fiction.
Le réel constitue la fiction de référence, celle qui parle, celle d’où l’on parle et celle dont on parle.
C’est en cela qu’en parlant des techniques du virtuel on peu parler de réalisme. D’infra-réalisme.

Mais l’enjeu est ailleurs, pas dans la mutation volontaire des techniques de représentation en mal de modernité. Probablement dans le désir, après la recherche des confins du monde connu (qui fuient devant nous comme l’horizon du marin) d’un monde explicable, d’un monde doté d’une finalité, d’un monde de communication, d’un monde plus humain faute d’un monde meilleur.

C’est un outil de survie. Il illustre, au delà de la quête de l’être ou du lieu où s’origine notre incapacité à justifier le monde, masqué par l’horizon, le désir ultime et réalisé d’une cohérence nécessaire.

Maurice Benayoun
Paris, Juillet 1999

Maurice Benayoun, artiste, explorateur multimédia, auteur de réalisations en images de synthèse (les Quarxs) et d’installations en réalité virtuelle (Les grandes Questions, Dieu est-il plat ? Le Diable est-il courbe ?, le Tunnel sous l’Atlantique, World Skin… enseigne à l’université de Paris1. http//www.benayoun.com (maurice@benayoun.com)

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