Le trouble se complaît dans l’ondulatoire quand l’esprit le voudrait corpusculaire.

— Trouble

en 1999 “Les ministères de la culture et de la communication et des affaires étrangères ont réuni dix personnalités françaises et francophones et leur ont demandé de choisir dix mots au caractère évocateur, riches de sonorités, de sens et d’histoire comme une invitation à la réflexion et à la création”…

Je me sentais un peu comme un usurpateur au milieu de ces virtuoses du verbe et du sens. Je me souviens de ce tir à boulets rouges lorsque j’émis l’hypothèse d’un “brainstorming”. Comment? Vous parlez sans doute d’un “remue méninges”.

Autour de la table: Henri Lopes, Patrice Louis, Raymond Devos, Salah Stétié, Philippe Sainteny, Henriette Walter, Etienne Brunet, Mimi Barthélémy. Et, il me semble, mais je me trompe peut être car il a disparu de la publication, Edouard Glissant mais il a probablement, prudemment, évité de soumettre un texte. Le déjeuner était fort bon et Devos en forme.

J’avais choisi “Trouble”. Je me rappellerai toujours le scepticisme manifesté par les journalistes venus m’interroger pour la radio sur mon texte qui leur paraissait visiblement bien obscur. Ils furent tout aussi surpris de le découvrir dès qu’à leur demande je me mis à le lire…

Trouble des sens

Plus l’image se précise plus grand est le trouble. Il s’accommode du paradoxe. Avant de voir l’on pressent la mise en doute des apparences. Quand le réel se confond avec son image, que l’esprit oscille de l’un à l’autre à la recherche de certitudes hors d’atteinte, la mise au point s’impose.

C’est dans l’espace du doute que la conscience erre en quête du net. Quand il échappe au regard celui-ci se retourne vers l’entendement bien en mal de trancher. Le trouble devient un moment d’extase où l’on jouit de l’impuissance de l’esprit à définir le contour des choses. Il épuise notre capacité à dire, à mettre en mots le monde qui nous attire. L’objet de notre intérêt se confond avec celui du désir en une vibration qui confine à l’excitation. Le trouble se complaît dans l’ondulatoire quand l’esprit le voudrait corpusculaire.

L’image née du nombre, et plus encore le virtuel, d’abord trop net, ont appris à le créer. Ce n’est plus simplement l’illusion complaisante mais le sentiment diffus d’être là et ailleurs, ici mais plus tard, quand il est trop tôt pour comprendre. C’est alors qu’on apprend, et que l’on appréhende, la pensée en action, la quête mouvante du sens, la mise en doute du réel qui s’explique à voix basse.

Maurice Benayoun Paris, le 20 septembre 1999