donner une forme à la pensée et rendre compte de l’univers dans lequel elle se meut.
La science soumise à la question par l’art
(et réciproquement)
Ce n’est pas une surprise : Les articles, publications et conférences se multiplient sur les rapports ART-SCIENCES.
La surprise ne vient pas du sujet mais du fait que l’on doive, à chaque reprise, justifier sa pertinence. C’est bien entendu que cela ne va pas de soi.
Qu’est-ce qui pourrait rapprocher ces univers réputés inconciliables?
On imagine difficilement le scientifique troublé par la chose artistique, en quête d’autres formes de reconnaissance sur d’autres territoires, d’autres grilles de valeurs, d’autres finalités, voire en demande d’un projet qui l’obligerait à renoncer aux fondements de sa pratique : recherchant la finalité sans fin (Kant), préférant l’image, la métaphore, la représentation a la rigueur de l’énoncé factuel, démonstratif et convaincant.
De l’autre coté on imagine difficilement l’artiste maître du sfumato, de l’émotion, de la métaphore et du flou (artistique) se commettre avec les chiffres, les formules, les algorithmes, et les lois fondamentales de la thermodynamique. Pourtant, depuis qu’ils ont renoncé à la blouse blanche des labos et à la veste noire des beaux arts, ces compères dialoguent. De plus en plus souvent. Comme d’autres ils se reconnaissent dans des postures physiques, l’habit ne fait plus le scientifique et le geste ne fait plus l’artiste. Les voila réconciliés devant ce filtre informationnel presqu’absolu qui donne à l’un et à l’autre des visions si différentes et si proches du monde dont ils souhaitent rendre compte, prendre en compte ou modifier, altérer, marquer ou améliorer. La position assise devant un écran informatique, clavier en main devient la norme gestuelle et posturale, et aucune branche d’activité ne semble y échapper. Le comptable, l’écrivain, le généticien, le réalisateur ou encore le sculpteur, l’architecte et le graphiste, tous ont accepté la norme. Ils regardent par la même fenêtre écran et caressent le même clavier. Les frontières disciplinaires s’effacent et seul subsiste le vrai moteur de leur action. Ce qui les meut et les émeut. Ce qui justifie leur énergie patiemment ou compulsivement déployée :
Comprendre et donner à comprendre le monde.
Curieusement c’est là que la rencontre se produit. Dans le désir du scientifique de révéler la vraie raison des choses, de rendre visible l’invisible et dans celui de l’artiste de rendre compte de l’informulé, de dire l’indicible. Il y a là la même volonté de donner une forme à la pensée et de rendre compte de l’univers dans lequel elle se meut.
L’un cherche les formules l’autre les formes et dans les deux cas le sens prend tournure et l’on comprend chez l’un ce que l’on pressent chez l’autre. On a pu croire que leur projet différait dans les objectifs. Il se pourrait qu’il diffère dans les moyens et dans la forme qu’ils prennent. Souvent l’un énonce quand l’autre dénonce, l’un cherche la vérité quand l’autre s’interroge sur la vanité de la quête.
Pourtant de plus en plus souvent il semblerait que le besoin se fait sentir de trouver dans l’antagonisme apparent des méthodes et des enjeux des motifs de dialogue voire des occasions de rencontre et de collaboration. Chacun garde ses objectifs et ses résultats mais la singularité des propos aide à poser les bonnes questions, à mettre de côté les préjugés, et reconstruire le paysage sur le chaos des certitudes. Les perspectives se retrouvent différentes comme si deux systèmes cohabitaient pacifiquement et que l’univers s’en trouvait déformé, désinformé et pourtant plus équilibré. La rigueur de l’un balançant l’approximation de l’autre. Et la stupeur de cet autre temporisant l’ardeur du premier. Deux passions en action et de nouvelles réponses, de nouvelles solutions et bien plus souvent de nouvelles questions prennent forme.
MB
Hong Kong 13 mai 2013